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JE T’AIME, MOI NON PLUS : un dialogue entre artisanat d’art et art contemporain. Ou la nécessité de constituer une communauté qui agrège des acteurs culturels confrontés à une même problématique.

Contexte historique : une séparation obsolète ?

« Je t’aime moi non plus » pourrait-être l’énoncé du rapport délicat et complexe entre l’artisanat et l’art contemporain. Pour parodier le texte de la chanson de Serge Gainsbourg l’amour (physique) technique est sans issue entre l’artiste et l’artisan. Amour impossible parce que leur définition repose sur l’étude de leurs ressemblances et leurs différences, et ceci depuis le siècle des Lumières jusqu’à nos jours.
L’encyclopédie de 1751 classe les activités humaines par un système figuré des connaissances. D’un coté les distinctions de Lettres, Beaux Arts et Sciences et de l’autre coté les techniques. La séparation entre les arts libéraux et les arts mécaniques se voit aujourd’hui complètement devenu obsolète au regard des revendications des créateurs des métiers d’art , des designers et des artistes. Comme l’affirme la sociologue de l’art Nathalie Heinich : La production artistique est tournée sur elle même, c’est à dire que l’art met en réflexion le problème de l’art et de sa définition. 
L’art devient ainsi le lieu de l’expérimentation de ce qui n’a pas été développé antérieurement. Il est la figure de l’aventurier des possibles. Il est désormais peu probable d’imaginer qu’un artiste contemporain puisse mobiliser de nombreuses années de formation afin de réaliser une sculpture en soufflé, puis une seconde formation pour réaliser une oeuvre en fer forgé.

Les difficultés de l’exercice de l’art : le reskilling

Le terme « reskilling » emprunté au domaine de la formation professionnelle où il désigne un redéploiement des compétences en vue d’adapter les métiers aux demandes du marché.
Récemment introduit dans le champ de l’art contemporain, le reskilling, ou requalification, témoigne ainsi d’une revalorisation du travail manuel, au moyen notamment d’une réappropriation de techniques artisanales plus ou moins délaissées, ou d’une attention particulière accordée à la maîtrise de l’exécution et à la facture de l’oeuvre, au raffinement de la matière et au décoratif.
Dans le contexte de la production industrielle, le reskilling est une réponse directe au deskilling, processus par lequel le travail humain a été rendu désuet par l’introduction des nouvelles technologies. Toutefois, sur la scène artistique, cette déqualification ne saurait être attribuée aux seuls effets de l’industrialisation, mais également à une volonté des avant-gardes de rompre avec les diktats de l’académisme.
Si la virtuosité a toujours suscité l’admiration, et ce encore aujourd’hui, l’art contemporain est néanmoins parvenu à se détourner des exigences liées uniquement aux compétences. Par conséquent, il est pertinent de s’interroger sur les motivations de cet intérêt renouvelé pour les techniques traditionnelles et de la requalification du savoir-faire en observant comment elles s’inscrivent dans les enjeux de l’art actuel de ce début du 21e siècle. 
Le collectif d’artistes Ergastule s’affiche clairement comme un lien qui permet à l’artisanat de dialoguer avec l’art contemporain. Et ceci de par le double profil de ses membres : en effet, plus de la moitié des membres actifs de l’atelier ont bénéficié d’un double cursus aussi bien en école d’art qu’en formation professionnelle artisanale. Il est donc clair que ce dialogue est vécu et porté véritablement par le groupe.

La réconciliation par la pratique, la résidence

Ergastule oeuvre dans le souci de ne pas atrophier la créativité et d’accompagner la réussite des artistes plasticiens accueillis en résidence. Par l’entre-mise de la mutualisation, Ergastule souhaite permettre aux artistes plasticiens l’échange et l’apprentissage de savoir-faire – technologiques et artisanaux – nécessaires à la réalisation de leurs projets. C’est donc autour de la production partagée en atelier que s’élabore toute la singularité de ce collectif.
En amont à la nécessité d’exposer son travail, l’artiste est souvent tributaire des moyens techniques et humains mis à sa disposition. C’est pour pallier aux contingences de la réalisation, qu’Ergastule accompagne les créateurs dans leurs projets artistiques. Ainsi, tout l’enjeu de cette initiative réside dans les synergies possibles entre la finalité d’une oeuvre – l’exposition – et la nécessité première de l’artiste – la production.
Toute la singularité de ce projet est dans sa simple efficacité : il répond aux besoins des artistes (en témoigne le nombre croissant de candidatures spontanées venues de toute la France et parfois de l’étranger).

La Lorraine, territoire de métiers et d’Art

De la ferronnerie d’art au travail du verre, de la lutherie à la faïence, en passant par la broderie, toutes les disciplines y sont vivantes et représentées sur le territoire lorrain. La région Lorraine par sa politique de soutient aux métiers d’art, permet de maintenir sur son territoire des savoirs faire particuliers .Cette richesse conservée constitue une force de production pour les politiques du développement durable, nécessaire d’être maintenue et développée. Conserver les savoirs faire et les compétences, c’est garder la richesse de son patrimoine culturel, mais aussi social et humain. La richesse de notre avenir est liée au développement de ce capital social.  Ainsi l’artiste par sa collaboration avec l’artisan retrouve le travail de réflexion sur l’expérience, sur le monde ordinaire, sur ses émotions et ses sens.

Un accompagnement de la création dans ses dimensions séculaires et innovantes

Bien avant même le problème technique, ce potentiel représente un détonateur pour l’oeuvre. C’est en se frottant au collectif, à ses productions, à son outillage et à la résistance de la matière, qu’un terrain propice à l’innovation apparaît pour l’artiste ou pour l’artisan. Et c’est bien à travers le prisme de la réalisation voire de l’expérimentation ou tout simplement de l’observation que se génèrent des dialogues conceptuels et techniques riches de sens.
Ergastule a choisi le parti pris de l’innovation et de l’affirmation de savoir-faire artisanaux traditionnels mis à jour du point de vue technologique. Ce dispositif permet de se projeter dans le futur, sans didactisme mais en décloisonnant art, technologie et artisanat. Ergastule s’imagine réaliser l’impossible au côté des artistes. Il en va de la réussite du projet que de l’informer, le former et le mettre en situation de dialoguer avec un artisan. Dans la mesure du possible, cet échange doit revêtir une forme d’équilibre, l’un pouvant nourrir l’autre et ce pour le bien de tous.
Dans le souci d’offrir cet accompagnement de la création artistique contemporaine, de la manière la plus efficace possible, Ergastule a su se doter d’importants moyens de production – intégrant les exigences techniques les plus récentes (modélisation, numérisation et impression 3D, fraisage 4 axes …) tout en continuant à faire usage de techniques séculaires (Pâte de verre, gravure, céramique…) et en s’appuyant conjointement sur un réseau étendu d’artisans partenaires régionaux : la fonderie Vexlard à Rambervilliers (88), le Cerfav et Glass fabrik (54), le ferronnier d’art Jena-Louis Hurlin à Montigny-les-Metz (57), le  CERFAV Fablab à Vannes-le Châtel (54), l’ébénisterie Masson à Maxéville (54), …

Il s’agit aussi de développer et donner de la visibilité à un double réseau : Technologique et artisanal (filière Art, Luxe et Création) et celui dédié à la création actuelle (LORA – Lorraine Art Réseau). Ainsi c’est en plaçant l’artiste au centre de nos préoccupations que naissent les liens entre les structures de diffusion et le savoir-faire des ateliers.